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Norodom Sihanouk cède ses archives à la France

Norodom Sihanouk, ancien roi du Cambodge, vient de léguer ses archives personnelles à la France, ce qui constitue une première de la part d’un chef d’État étranger. Ces documents, envoyés il y a deux ans de Pékin où le souverain possède une résidence, n’ont jamais été rapatriés au Cambodge. Les 50 caisses d’archives portent principalement sur la période suivant son renversement par un coup d’État en mars 1970.

La décision de Norodom Sihanouk de céder ses archives à la France plutôt qu’à un institut cambodgien peut paraître étrange. Le 19 février 2004, année au cours de laquelle il a abdiqué, en faveur de son fils Sihamoni, il s’en est expliqué dans un fax envoyé à Olivier de Bernon : « Il m’est impossible de les conserver à l’intérieur du Cambodge pour servir la cause de mon pays, car ce dernier est, et sera toujours, susceptible de changer de régime politique et idéologique.» Cette défiance est liée au fait que la totalité de ses archives antérieures au coup d’État de 1970 a été détruite par les régimes précédents, celui de Lon Nol puis des Khmers Rouges.

Olivier de Bernon, membre de L’École Française d’Extrême Orient, a été chargé de cataloguer ces documents. Il estime que la collection comprend un million de documents, plusieurs milliers de correspondances et près de 10.000 photos qui seront conservés à l’Hôtel de Soubise appartenant aux Archives nationales de France à Paris.
Ce fond, extrêmement hétéroclite, porte sur trois périodes: celle qui suit le coup d’État de Lon Nol (1970-1975), l’occupation vietnamienne (1979-1992) et son second règne (1993-2004).

Il comprend notamment l’intégrité des discours en français de l’ancien roi, qu’il a traduit lui-même en khmer, et une volumineuse correspondance avec André Malraux, ministre de la Culture du général de Gaulle, Zhou Enlai, ex-Premier ministre chinois, Yasser Arafat, Nelson Mandela, Ronald Reagan… Mais il compte aussi de très nombreux autres documents écrits de la main du Roi, messages, communiqués, manuscrits de ses livres…. Certains clichés sont rares, comme celui sur lequel on voit Sihanouk prononcer son discours de démission de chef d’État du régime Khmer Rouge le 2 avril 1976. Une grande quantité de photos a été prise en Corée du Nord, où le dirigeant cambodgien a souvent été l’hôte de Kim Il-Sung, « le grand leader » qui a dirigé son pays d’une main de fer durant 46 ans. Ces documents seront répertoriés dans un ouvrage intitulé « L’inventaire du Fond Norodom Sihanouk donné à l’EFEO » à paraitre dans l’année 2009.

Un roi attaché à la France

Roi du Cambodge de 1941 à 1955, durant le Protectorat français, Norodom Sihanouk a suivi ses études en France avant de monter sur le trône à l’âge de 19 ans. Par la suite, il a souvent séjourné à Paris et à Mougins, où il possédait une villa. Chef d’État du Cambodge entre 1960 et 1970, il est renversé, durant son absence, par un coup d’État du général Lon Nol. Il se réfugie alors à Pékin, où il fonde un gouvernement en exil. En septembre 1975, les khmers Rouges le rappellent pour occuper les fonctions de Président à vie. Il est immédiatement assigné à résidence dans le Palais Royal tandis que de nombreux membres de ses familles sont exécutés. En janvier 1979, quelques jours avant l’entrée des troupes vietnamiennes dans le pays, il est épargné par les Khmers Rouges -sans doute sur ordre de la Chine- et embarqué dans un avion à destination de Pékin.

Revenu au Cambodge en novembre 1991, il est à nouveau chef de l’État jusqu’en septembre 1993. Le 24 septembre 1993, après avoir juré de ne jamais remonter sur le trône, il décide pourtant d’assumer ce rôle à nouveau. Treize ans plus tard, le 7 octobre 2004, il abdique en faveur de l’un de ses fils, le prince Norodom Sihamoni. Âgé de 87 ans, Norodom Sihanouk, qui est atteint d’un cancer, est actuellement soigné à Pékin.
Doté d’une puissance de travail hors du commun, le roi est une figure historique de la résistance anti-impérialiste et un écrivain engagé. D’un tempérament iconoclaste, dès son jeune âge il compose des poèmes et des chansons qu’il interprète durant des soirées entières. Passionné de cinéma, il a aussi réalisé de nombreux de films.

Olivier de Bernon qui a répertorié ces documents est un spécialiste de la culture Khmère et connait Norodom Sihanouk depuis longtemps. Chargé en 1991, de réimplanter l’École Française d’Extrême Orient (EFEO) au Cambodge, d’où elle avait été chassée par les Khmers rouges en 1975, il anime également le Fonds pour l’édition des manuscrits du Cambodge (FEMC), placé sous le haut patronage du roi Sihanouk depuis 1993. A cette époque, il entreprend de procéder à l’inventaire systématique des manuscrits des bibliothèques des monastères du Cambodge, réchappés d’autodafés de deux décennies.

A Phnom Penh, l’équipe du FEMC a restauré, au Vatt Saravann, la plus grande collection de manuscrits khmers du Cambodge et constitué la Bibliothèque Preah Vanarot Kèn Vong, du nom du vénérable moine qui avait rassemblé, dès 1979, le reliquat des anciennes collections de l’Institut bouddhique et ceux d’autres institutions ruinées par la guerre. Dans la province de Kompong Cham, le FEMC a restauré la très belle collection de la bibliothèque du monastère de Phum Thmei Serey Mongkol, la seule qui dans le pays n’a pas été dévasté par les Khmers Rouges.

 

Krystel Maurice