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Cambodge: le pouvoir se raidit à l’approche des élections

L'arrestation des membres de la Licadho ce lundi 9 mai. Photo Licadho

Quatre membres de la Licadho, une association cambodgienne de défense des droits de l’homme, ainsi que quatre militants pour les droits au logement, ont été arrêtés lundi matin par les autorités. Détenus durant plusieurs heures, ils ont été relâchés dans la soirée sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux.

Ils portaient des tee-shirts noirs en ce premier lundi d’une campagne intitulée « lundi noir ! » visant à obtenir la libération de cinq de leurs collègues incarcérés la semaine dernière pour « subornation de témoin » dans l’affaire des relations extra-conjugales du numéro 2 de l’opposition (lire ici).

Depuis mars, cette affaire privée aux forts relents de coup monté est exploitée par le pouvoir pour museler ceux qui osent le critiquer.

Pour ce premier « lundi noir ! », la quarantaine de participants avait prévu de se rendre devant la Prison de Prey Sar à Phnom Penh où leurs collègues sont détenus. La veille, le ministère de l’intérieur avait interdit la manifestation au nom de « la paix et de la stabilité du pays ». Phay Siphan, le porte-parole du gouvernement n’avait pas hésité à comparer l’évènement à « une révolution de couleurs » et à « une rébellion urbaine » dont l’objectif était de mettre en péril les institutions de l’état.

Face à cette « menace inadmissible », les autorités ont barré lundi l’accès à la prison et ont stoppé les manifestants avant même qu’ils ne parviennent sur place. Quatre membres de la Licadho, parmi lesquels Kimsan Thav, son directeur-adjoint et deux consultants étrangers de l’ONG, l’allemand Mathias Pfeifer et la suédoise Anna Maria Pettersson, ont été interpellés. Quatre autres militants pour les droits au logement ont également été arrêtés parmi lesquels Sarom Ee, le directeur de l’association Sahmakum Teang Tnaut. Interrogés durant plusieurs heures, ils ont finalement été tous relâchés dans la soirée après avoir signé un document dans lequel ils s’engageaient à mettre un terme à la campagne du « lundi noir! ».

A l’approche des élections communales de 2017 et des législatives de 2018, le gouvernement semble bien décidé à faire taire toutes voix dissidentes. Une vingtaine d’opposants sont déjà sous les verrous depuis le mois d’août, des membres ou des sympathisants de l’opposition mais aussi, plus récemment, des défenseurs des droits de l’homme et des utilisateurs de Facebook.  Les poursuites judiciaires se multiplient, un jour contre un commentateur politique, un autre jour contre le N°2 de l’opposition, un autre jour encore contre un employé de l’ONU.

Guidé par cette farouche volonté de conserver la main mise sur le pays, le Premier ministre Hun Sen, au pouvoir depuis 31 ans, accuse les uns et les autres de fomenter des complots, de préparer une « révolution de couleurs »,  « d’inciter au chaos » ou de « menacer la paix sociale ». Au fil des ans, cette tactique de la carotte et du bâton est devenue sa marque de fabrique. Depuis les législatives de juillet 2013 à l’issue desquelles le Parti populaire cambodgien (PPC) qu’il dirige a pourtant encaissé un recul historique face à l’opposition, ses méthodes demeurent inchangées.

Il y a quelques mois seulement, Hun Sen a ouvert un compte Facebook, censé lui permettre de gagner l’adhésion d’une jeunesse qui lui avait tourné le dos lors de ce dernier scrutin.  Ici, tout sourire, il câline ses petits-enfants et se fait photographier, rigolard, au milieu de ses admirateurs. Là, le visage fermé, il pointe un doigt menaçant sur  les commentateurs ou les utilisateurs des réseaux sociaux qui osent le défier.

Au vu de ce jeu de miroir changeant, il reste bien difficile d’imaginer ce qui se trame derrière les vitres sans tain du pouvoir.
Hun Sen envisage-t-il, comme certains le prédisent, d’annuler purement et simplement les élections en supprimant le vernis démocratique qui subsiste dans le pays?
La relaxe ce lundi des huit manifestants interpellés semble contredire cette thèse. Plus probablement continuera-t-il dans les mois à venir de pratiquer ce subtil et périlleux exercice d’équilibriste qui lui a permis de se maintenir au pouvoir au terme de cinq élections.

 

Krystel Maurice