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Capture écran du site internet du Metropolitan Museum of Art de New York
Six semaines après avoir missionné au Cambodge deux de ses conseillers, le Metropolitan Museum of Art (Met) de New York a annoncé vendredi que deux statues khmères datant du Xe siècle provenant du site de Koh Ker et qui étaient exposées depuis 1994 dans l’aile asiatique du Met allaient être restituées au Cambodge. Ces deux statues de grès, l’une d’une hauteur de 1,22m, l’autre de 1,17 m, baptisées « Serviteurs à genoux » proviennent du site archéologique de Koh Ker, à 80 km au Nord -Ouest d’Angkor. Les responsables du musée ont désormais acquis la certitude qu’elles ont été volées vers 1975, durant le régime khmer rouge.
Serviteur à genoux, l’une des deux statues volées à Koh Ker et que le Met avait reçu en donation.
Comment ces statues ont-elles rejoint les collections du prestigieux musée new-yorkais? Il convient de s’y intéresser de près car cette affaire pourrait bien connaître de nouveaux rebondissements.
Entre 1987 et 1992, les « Serviteurs à genoux » ont fait l’objet de quatre donations successives, les statues ayant étant découpées. Deux donateurs, et même trois si l’on veut être tout à fait précis, les ont offerts au Met. En 1987, le musée a reçu une première tête de sculpture d’une donation conjointe de Spink & Son, une maison londonienne spécialisée dans la vente aux enchères d’œuvres d’art et d’un des plus célèbres collectionneurs d’art khmer au monde, l’anglais Douglas A. J. Latchford. Puis en 1989, Raymond G. et Milla Louise Handley font donation de l’autre tête, acquise deux ans tôt lors d’une vente aux enchères organisée chez le même Spin & Son de Londres. En 1992, le décidément très généreux donateur Douglas A. J. Latchford, qui vit aujourd’hui entre Bangkok et Londres, fait donation des deux torses manquants.
Les conservateurs du musée ont assemblé les pièces en 1993, et depuis 1994, les deux statuts de Koh Ker gardent l’entrée de la galerie 249.
Le deuxième Serviteur à genoux.
Les autorités cambodgiennes qui étaient persuadés que ces œuvres avaient volées sont entrées en contact avec le Musée en juin dernier. Mais la visite effectuée au Cambodge en mars 2013 par les deux représentants du Musée a été déterminante, explique t on aujourd’hui au Musée.
Les documents fournis par les Cambodgiens prouvent que les statues ont bien été arrachées illégalement du temple de Koh Ker, a expliqué Thomas P. Campbell, le directeur du Met. Au nombre des preuves, des photos du socle des statues, toujours en place sur le site de Koh Ker, et des témoignages d’archéologues selon lesquels les statues se trouvaient toujours sur le site en 1970. Des informations qui n’étaient pas connus du Musée lorsqu’il a acquis ces statues, précise le directeur du Met de New York.
A l’époque, il est vrai, les musées américains étaient moins vigilants qu’ils ne le sont maintenant sur l’origine des pièces acquises. Les temps ont changé et durant ces dernières années, des procédures de vérification minutieuses ont été mises en œuvre et les collaborations avec les pays étrangers se sont multipliées. « Le musée tient à appliquer des règles strictes sur la provenance de ses nouvelles acquisitions, mais aussi à étudier les travaux concernant les pièces figurant depuis longtemps dans ses collections, dans un effort permanent d’en apprendre le plus possible sur l’histoire des propriétaires des œuvres », a précisé le directeur du musée, Thomas Campbell.
En 1997, le Met avait déjà restitué au Cambodge une tête de Shiva datant du Xe qui était recensée sur une liste d’objets pillées sur le site d’Angkor.
Mais les responsables cambodgiens semblent s’intéresser de près à d’autres objets du Musée. Ils se rendus au Met il y a quelques semaines pour y photographier les pièces en provenance du Cambodge. Ils auraient ainsi demandé au musée d’effectuer des recherches sur les origines de plus d’une vingtaine d’objets.
De l’affaire du Met à l’affaire Sotheby’s
Le Cambodge se démène depuis quelques années pour retrouver nombre de pièces qui ont été pillées dans ses temples, en particulier durant les années 70, alors que la guerre civile faisait rage dans le pays. Il en est ainsi d’une autre statue de grès provenant, elle aussi du groupe de Koh Ker, représentant Duryodhana, un guerrier de la mythologie hindoue. L’affaire oppose depuis deux ans les autorités cambodgiennes à Sotheby’s, la prestigieuse société de vente aux enchères d’œuvres d’art.
Le Duryodhana bondissant au centre de l’affaire Sotheby’s.
Cette statue avait été retirée in extremis du catalogue de vente de Sotheby’s en 2011 à la suite d’une lettre des autorités cambodgienne appuyées par l’Unesco réclamant sa restitution. Le Cambodge affirme en effet qu’elle a été volée sur le site de Koh Ker dans les années 60-70, le socle et les pieds de la statue ayant été retrouvés enfouis dans le sol de Koh Ker en 2007 Considérée comme un des chefs d’œuvre de l’art Khmer, le Duryodhana bondissant a été estimée à 3 millions de dollars. En dépit de ses pieds et bras manquants, elle est remarquablement conservée. Elle avait acquise par un homme d’affaire belge en 1975. Sa veuve, Decia Ruspoli di Poggio Suasa, qui en est aujourd’hui propriétaire avait chargé Sotheby’ s de la vendre en 2010.
Le procureur de Manhattan a déposé plainte l’an dernier contre Sotheby’s. Considérant que la statue avait été volée, il avait demandé sa confiscation afin qu’elle soit rendue au Cambodge. Un juge a depuis interdit à Sotheby’s, de la vendre ou de la transférer. Il est notamment reproché à Sotheby’s d’avoir inclus la statue khmère dans le catalogue de ses ventes en ayant eu connaissance de sa provenance illicite et de l’avoir importée sur le sol américain en avril 2010 en connaissance de cause.
Sotheby’s conteste vivement l’affaire. Elle affirme que la statue a été exportée légalement aux États-Unis, que rien ne prouve qu’elle ait quitté le Cambodge après 1972, lorsque fut adoptée une convention de l’UNESCO sur la protection du patrimoine culturel mondial. Elle ajoute également qu’elle avait contacté en 2010 un ministre cambodgien afin de savoir si elle n’était pas recherchée.
Le collectionneur de Bangkok
L’affaire semble passablement complexe, mais selon le New York times, Douglas A. J. Latchford, le collectionneur britannique vivant à Bangkok, aurait bel et bien alerté la maison de vente. Dans un article du New York Times rédigé le 12 décembre dernier, bien avant que l’on ne parle de l’affaire du Met de New York, deux noms sont évoqués dans l’affaire Sotheby’s, celui de A. J. Latchford et de Spin & Son. Lesquels sont les généreux donateurs des Serviteurs à genoux du Met dont nous venons de parler plus haut.
Selon le quotidien new yorkais, les avocats du gouvernement américain affirment dans la procédure Sotheby’s que la statue du Duryodhana bondissant aurait été achetée par un « collectionneur » à un marchand thaïlandais au début des années 70. Ce collectionneur l’aurait ensuite fait transporter incognito par bateau jusqu’en Grande- Bretagne où elle a été vendue aux enchères par Spink & Son à Londres à l’homme d’affaire belge.
Ce collectionneur qui n’est pas nommé expressément dans la procédure, serait, selon le New York times, l’expert Douglas A. J. Latchford. Interviewé depuis son domicile de Bangkok, Douglas A. J. Latchford reconnait être le collectionneur en question, mais nie avoir acheté la statue et dément avoir joué un rôle quelconque dans son transport jusqu’à Londres. Pourtant parmi les documents internes de Sotheby’s, figure un courriel envoyé à un représentant de Sotheby’s dans lequel l’expert en art khmer dit avoir été propriétaire de la statue dans le passé. Cette correspondance remonte à 2010, avant que l’affaire Sotheby’s n’éclate au grand jour. Mais quelques semaines plus tard, Douglas A. J. Latchford s’était rétracté dans un autre courriel, invoquant une erreur.
S’il affirme aujourd’hui au journaliste du New York Times n’avoir « jamais comploter contre qui ce soit », il reconnait cependant avoir recommandé le marchand thaïlandais à Spink & Son.
Le procès de l’affaire Sotheby’s devrait s’ouvrir bientôt.
Bhima et Le Musée Norton Simon de Pasadena
Une autre statue, Bhima, la sœur jumelle du Duryodhana bondissant retient aussi toute l’attention des autorités cambodgiennes. Les deux lutteurs qui représentent un épisode célèbre du Mahabharat, ont été volés à Koh Ker, affirment les autorités cambodgiennes.
Les deux lutteurs, le Duryodhana bondissant
et Bhima que le Cambodge cherche à récupérer.
Bhima, se trouve aujourd’hui au Musée Norton Simon de Pasadena (Californie). Le Cambodge demande également sa restitution et des discussions entre les autorités cambodgiennes et la direction du Musée sont en cours.
Krystel Maurice