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Amoureux du Cambodge, notre ami Camille Suard se trouvait à Phnom Penh à l’occasion de la crémation du l’ex-roi Norodom Sihanouk. Récit de ces journées historiques au cours desquelles toute la population est venue saluer, pleurer et vénérer celui qui a régné sur le pays durant plus d’un demi-siècle.
Ce séjour au Cambodge débute dans un climat particulier. Le pays est dans un deuil de sept jours englobant les funérailles royales du roi-père Norodom Sihanouk décédé il y a trois mois. Le quartier de Phnom Penh autour du palais Royal est bouclé. Des barrières avec policiers en contrôlent l’accès notamment aux voitures, motos…de façon stricte jusqu’au jour de l’incinération le 4 février.
Dans la soirée du 1er février, jour où la dépouille royale a quitté définitivement le Palais dans un cortège vibrant de couleurs d’apparats et de polyphonies s’étalant sur 2kms, et au terme d’une ultime procession de 6 kms, le quartier central s’est transformé en un immense village aux rues libérées offertes à leurs riverains étourdis par l’épaisseur du silence. Étonnement qu’aucun cri ne venait lacérer.
Le lendemain d’autres barrages ont subdivisé le quartier en trios ilots interdisant aux piétons d’en toucher le cœur la majeure partie de la journée. Il m’a fallu presque 2 heures pour atteindre le quai face au palais alors illuminé puis un des côtés du mausolée où le corps du roi attendant sa crémation avait été transposé la veille.
Le 3 février en matinée des milliers de Cambodgiens ont pu passer au pied des marches du catafalque doré coiffant le four crématoire installé pour la circonstance et saluer et offrir des fleurs de lotus blancs tout en boutons. L’après-midi cette opportunité n’était plus de mise et il a fallu de nouveau puiser dans sa patience pour atteindre les alentours du palais. Le hasard m’a fait retrouver un journaliste khmer, Sovannarom, rencontré il y a cinq ans qui m’a reconnu alors qu’il interviewait pour « France 24 » des gens du peuple en prière ou en quête d’apercevoir ou de sentir une dernière fois « quelque chose du Roi ». Ces gens en famille ou en groupe villageois, tout en blanc et noir, portent le ruban du deuil sur leur corsage ou chemise immaculée. Et un à un, mains jointes ils disent leur peine au micro tendu, leurs yeux ne domptant plus leurs larmes. Sovannarom se fait un plaisir de me poser trois questions dont la dernière plus délicate, à propos de cette marée populaire blanche, du roi-père Norodom, puis de son fils le roi actuel Sihamoni…
Vers 19 h les moines montent les marches du mausolée et s’installent autour du cercueil. Ils entament leurs prières qu’une sono étend sur tout le secteur du palais. Vers 19h45 j’entrevois le Roi et Monica la Reine-Mère leur offrir un petit paquet enveloppé de papier doré avant qu’ils ne quittent le mausolée.
A 20 h, de l’île en face le palais le feu d’artifice tiré sur le Tonlé Sap clôt la journée en remplissant d’étoiles les regards gélifiés dans leur tristesse et redonnant leur place aux rires des enfants.
Le 4 février, je décide d’être assez tôt sur le terrain. Dès 8h les gens arrivent de blanc vêtus sur jupes, sampots, pantalons, noirs. Certains ressortent du Palais royal dont tout une partie a été réservée la nuit à ceux venus de loin. Ils s’installent ou déambulent après être passés chercher au temple à proximité des bouteilles d’eau. Des jeunes femmes donnent des cachets à ceux et surtout celles qui craignent des problèmes de santé. La Croix Rouge et les Scouts et des Associations ont prévu comme aux jours précédents des barquettes de nourriture…Des groupes de jeunes aiment se faire photographier avec leur tee-shirt clamant leur amour du « Roi, notre Père ». Des équipes de télévision interrogent des personnes diverses. Une chaîne cambodgienne m’interviewe: d’où venez vous, connaissiez- vous le Roi, que pensez-vous de ce qu’il a fait ? Les soldats répètent le chargement de la trentaine de canons briqués qui vont tirer leur salve ce soir.
Vers 10h la police arrive en masse et fait refluer sans discussion tous les gens à plusieurs centaines de mètres au-delà de l’angle Sisovath Bd et 136 Street d’une part et de celui de Sothearos avec la 240 d’autre part. De fait, il s’agit de laisser tout le secteur aux 3200 « invités », aux VIP (généraux à poignées, etc..). Par chance le restaurant-hôtel «Khmeroyal » n’est pas fermé lui pourtant si proche du Palais. Mon pote Jean Fred et moi nous y installons et assistons à ce vidage de rue : le peuple est repoussé, mis à l’écart. Dont acte!
Une heure plus tard nous en sortons et allons dans la rue du mausolée. Quelques Khmères qui avaient trouvé refuge juste dans l’impasse en face réapparaissent avec prudence. Elles seront environ deux cents en fin d’après-midi.
Les policiers nous prient de rebrousser chemin: j’avise le rideau entrouvert d’une guesthouse pour nous y installer. Nous nous retrouvons une douzaine de personnes planquées dans le hall. Il ne reste plus qu’à siroter quelques rafraîchissements et à attendre
le début de la cérémonie qui va occuper les flics soucieux de contrôler l’entrée des invités cambodgiens au portillon latéral et d’assurer le bon stationnement ou arrêt, le temps de dépoter les huiles, des grosses bagnoles avec chauffeur… Ils se satisfont de constater que les gens qui n’ont rien à faire là, se montrent disciplinés sur le trottoir d’en face.
Les journalistes avec leurs caméras, appareils photos, envahissent les deux estrades réservées pour eux de part et d’autre de l’entrée, aux angles de la balustrade du mausolée dont les tribunes se remplissent. Vers 17 h les bonzes « bonzent » leurs prières. La tension des flics diminue… et l’attention de pair. Benoîtement je traverse la rue, mon petit sac à dos noir sur les épaules, soulignant avec ma cravate noire, la blancheur de ma chemise et vais me nicher entre l’estrade de journaliste la moins gardée et la balustrade. Je suis alors dans l’axe, à deux degrés près, du catafalque royal, à 60 m. Je vais alors « zoomer » un maximum ; mais j’en veux à mon « Lumix » d’être un petit appareil ! Les photographes « pro » dans le dos me filent le complexe du petit zizi !
17h40. Je vais louper la photo du 1er ministre JM Ayrault qui va être la 1ère personnalité des États représentés à saluer définitivement le Roi mort, puis descendre les marches et prendre la grande sortie sur sa gauche… : Zut, mais c’est bien Ayrault ! Il a l’air fatigué, ses épaules semblent se ployer sous une charge invisible! Mais trop tard, mon Lumix a réagi trop lentement à mon doigté tardif ! Il ne me reste plus qu’à cadrer quelques unes des personnalités étrangères qui suivent …
Vers 18h00 çà bouge dans le mausolée. Des gardes royaux casqués s’agenouillent au pied des marches puis grimpent autour du cercueil pour un dernier adieu. Les officiers de la Maison Royale coiffés et emmaillotés en un blanc splendide s’activent ; des paravents sont installés qui cachent le dais mortuaire; les paravents sont repliés: le cercueil a magiquement disparu. De fait il s’est enfoncé dans la fosse du four. Je perçois s’y pencher, très subrepticement la crinière blanche de la Reine-mère, et plus nettement celle de la princesse sœur du Roi Sihamoni qui se penche. Puis les tentures se ferment. On sent une attente inquiète peser sur tous les vivants présents.
Puis le silence. Du toit du Mausolée un nuage s’échappe, d’abord timidement, et couronne sereinement la tour centrale : le feu a raison du corps royal. Les visages humides, les lèvres priantes, les poitrines serrées, les mains jointes le vénèrent à l’ultime …encore…encore…Ce qui n’enlève rien aux regards allumés d’un espoir. 19h45. Sur mon chemin vers l’hôtel je découvre agglutinés sur les barrages de la police des gens qui attendent de pouvoir s’approcher quand même de là où cela se passait ! De la fatigue, de la déception, mais un désir de finir leur long chemin, depuis leurs villages, près
des cendres chaudes du roi-père.