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Double rebondissement dans l’affaire du meurtre du syndicaliste Chea Vichea

Le syndicaliste Chea Vichea assassiné à Phnom Penh le 22 janvier 2004.

La Cour d’Appel de Phnom Penh a ordonné mardi 18 août la réouverture de l’enquête sur l’assassinat en 2004 du syndicaliste Chea Vichea. Elle n’a cependant pas levé les charges qui pèsent contre les deux accusés, Born Samnang et Sok Sam Oeunn, qui restent inculpés, bien que relaxés le 31 décembre 2008.

Mais alors que l’on s’apprêtait à applaudir cette décision, le gouvernement lançait dès le lendemain un nouveau pavé dans la marre annonçant son intention de poursuivre Chea Mony, le frère du syndicaliste assassiné devant les tribunaux.

Chea Vichea, bête noire du pouvoir et des patrons

A Phnom Penh, en ce matin du 22 janvier 2004, Chea Vichea, président d’un des plus puissants syndicats du pays, lit, comme chaque matin, les journaux au kiosque situé au coin de Vat Lanka lorsque deux hommes à moto s’approchent de l’étal. L’un d’eux s’avance, fait feu à trois reprises sur Chea Vichea qui s’effondre, tué sur le coup. Les deux hommes prennent immédiatement la fuite.

L’assassinat de ce dirigeant syndicaliste âgé de 36 ans, provoque une vive émotion dans tout le pays où, il est devenu très populaire. Membre du Parti de Sam Rainsy(PSR), l’un des principaux partis d’opposition jusqu’en 1998, Chea Vichea démissionne de ses fonctions pour se consacrer au syndicalisme.

A la tête du Syndicat indépendant des ouvriers du Royaume du Cambodge (SIORC, Free Trade Union of Workers of the Kingdom of Cambodia, en anglais), il se consacre notamment à améliorer les conditions de travail dans le secteur du textile. Défenseur des droits de l’homme, travailleur infatigable, Chea Vichea incite les travailleurs à s’organiser et à défendre leurs droits. Son charisme et ses talents d’orateurs séduisent. Il parvient à mobiliser les foules et à organiser avec succès les premières grèves et les premières manifestations dans un dans un pays où la défense des intérêts communs n’est pas ancrée dans les traditions. Sous sa houlette, son organisation devient rapidement l’une des plus importantes du pays. Mais il est aussi un interlocuteur reconnu sur la scène internationale puisqu’il est membre du Comité consultatif des programmes de l’Organisation internationale du travail (OIT), créé dans le cadre d’un accord commercial entre le Cambodge et les États-Unis sur le textile et l’habillement.

Régulièrement réélu à la tête du syndicat, il est la bête noire du gouvernement et des patrons de l’industrie.Conscient des dangers qu’il encourt, il ne recule jamais. En 2003, il fait état des menaces de mort qu’il a reçu à plusieurs reprises mais dit refuser l’exil. Il se fait plus discret durant quelques mois avant de reprendre ses habitudes à Phnom Penh. Chaque matin, il se rend au kiosque à journaux au coin de Vat Lanka. Les tueurs le savent et ce matin du 22 janvier, c’est là qu’ils l’attendent.

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Les funérailles de Chea Vichea.

Bouc-émissaires

Six jours plus tard, Born Samnang, 23 ans et Sok Sam Oeun, 36 ans sont arrêtés. Dès le lendemain, les deux « meurtriers » sont exhibés par la police devant les caméras de télévision qui affirme qu’ils sont passés aux aveux.

Mais les deux hommes proclament leur innocence. Born Samnang, en larmes, laisse entendre qu’il a avoué sous la contrainte après avoir été violemment battu. Les deux hommes sont inculpés par la Cour de Phnom Penh pour port d’armes illégal et homicide avec préméditation. Ce sera pour eux le début d’un long cauchemar. Ils sont condamnés le 1er aout 2005 à 20 ans de prison en dépit du manque de preuves.

Au Cambodge comme à l’extérieur, ce jugement déclenche une avalanche de critiques de la part des organismes de défense des droits de l’Homme. Non seulement les preuves de leur implication sont inexistantes mais le dossier transpire la manipulation. Les deux condamnés qui crient leur innocence font immédiatement appel de ce jugement.

Au fur des semaines qui passent, l’affaire gagnera en opacité : intimidations, menaces, pressions politiques et irrégularités judiciaires s’accumulent. Les ONG demandent la relaxe des deux hommes.

Les proches de Chea Vichea, les familles des deux condamnés, l’opposition, des représentants de la société civile réclament justice. Notamment sur les lieux même de l’assassinat, où chaque 22 janvier ils décident de se rassembler, toujours sous bonne escorte policière.

Mais le 17 avril 2007, quand enfin la Cour d’appel se réunit, elle ne fait que confirmer le jugement prononcé en première instance. Born Samnang et Sok Sam Oeun, restent condamnés à vingt ans de prison. Sans davantage de preuve contre eux. L’enquête est close, l’affaire aussi, du moins pour les juges, le pouvoir, et la police.

Condamnés à 20 ans de prison, Born Samnang
et Sok Sam Oeun clament leur innocence.

L’OIT dénonce

En avril 2008, l’Organisation internationale du travail (OIT), dépêche une mission d’information au Cambodge dans le cadre d’une enquête sur les meurtres de syndicalistes. En effet, au meurtre de Chea Vichea s’ajoutent les meurtres de deux autres responsables du même syndicat, Ros Sovannarith, abattu en mai 2004 et Hy Vuthy, abattu en février 2007. Sans parler des menaces et agressions physiques auxquelles les syndicalistes sont régulièrement confrontés.

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Les syndicalistes Chea Vichea, Ros Sovannareth et Hy Vuthy, tous trois assassinés au Cambodge entre 2004  et 2007.

Les conclusions de cette mission de l’OIT sont peu flatteuses pour le système judiciaire et le pouvoir en place. « Face à l’absence de justice dans l’affaire Chea Vichea, les syndicalistes craignent pour leur vie », déclare Guy Ryder, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale, dont les 311 organisations affiliées représentent 168 millions de travailleur. « Même les dirigeants de l’OIT qui participaient à une mission officielle de l’OIT au Cambodge au début de cette année ont fait l’objet d’intimidations. »

Dans son rapport paru en novembre 2008, l’OIT critique vivement le gouvernement cambodgien pour ne pas avoir pris de mesures contre la vague d’attaques violentes et meurtrières contre des syndicalistes. L’organisation y déplore l’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire et dénonce l’impunité qui règne au Cambodge. Le climat de violence et d’insécurité qui en découle « a une incidence extrêmement néfaste sur l’exercice des droits syndicaux » et le gouvernement « s’est montré réticent à amorcer un dialogue franc et ouvert ».

Verdict inattendu

La Cour suprême, ultime recours dans le système judiciaire, sera-t-elle, elle, capable d’ordonner une réouverture de l’enquête sur l’assassinat de Chea Vichea et de faire libérer les deux condamnés innocents qui croupissent dans une prison depuis près de cinq ans? Rien n’est moins sûr. Son président, Dith Munthy, est membre du Parti du Peuple Cambodgien (PPC) au pouvoir et les défenseurs des droits de l’Homme sont peu optimistes. Les ONG cambodgiennes et internationales multiplient les appels en faveur de la libération des deux hommes. Il s’agit, estiment elles, d’une « mise à l’épreuve »pour la Cour.

Le 31 décembre 2008, à la surprise générale, la Cour suprême ordonne pourtant la libération provisoire de Born Samnang et Sok Sam Oeun. Elle renvoie l’affaire devant la Cour d’Appel, laquelle est priée de prononcer la réouverture de l’enquête. La surprise est d’autant plus grande que rien, au cours des quatre heures d’audience ne laisse prévoir cette issue.

Comme ils l’ont fait depuis cinq ans, les deux hommes ont une nouvelle fois clamé leur innocence, devant le Président Dith Munthy. Born Samnang a affirmé que le jour du crime il n’était pas à Phnom Penh mais à Neak Loeung, dans la province de Prey Veng, auprès de sa petite amie. Il a répété que la police l’avait « forcé à apposer son empreinte digitale » au bas d’un document dont il ignorait le contenu. Et il a dénoncé la mise en scène dont il a été victime de la part de la police judiciaire qui l’a entraîné vers un terrain vague où se trouvait miraculeusement l’arme du crime… Quant à Sok Sam Oeun, il a répété qu’il n’était pas mêlé à cette affaire et qu’il n’avait jamais rencontré son compagnon d’infortune avant d’être envoyé en prison. Tous deux ont affirmé avoir été arrêtés “sans mandat d’arrêt”

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En annulant le jugement rendu le 17 avril 2007, Dith Munthy, président de la Cour suprême, a, comme il l’a souligné, suivi les conclusions du procureur général de la Cour d’Appel. En 2007, celui-ci avait en effet demandé la libération des deux hommes et la réouverture de l’enquête mais n’avait été suivi.

L’implication de Hok Lundy

Mais pourquoi la Cour suprême a-t-elle, à la surprise générale, retourné la situation alors qu’aucun élément nouveau n’étant intervenu dans ce dossier ?

Sept semaines avant l’audience de la Cour, le 8 novembre 2008, Hok Lundy, numéro 1 de la police cambodgienne décédait mystérieusement dans un accident d’hélicoptère. Les circonstances de l’accident n’ont toujours pas été établies.

Hok Lundy, le chef de la police cambodgienne, décédé dans un accident d’hélicoptère en 2008 dans des circonstances mystérieuses.

Ce général quatre étoiles, très lié au Premier ministre Hun Sen, était réputé intouchable. Nommé en 1994 directeur général du ministère de l’intérieur en charge de la police, son nom a souvent été prononcé dans des affaires aux relents nauséabonds : trafics de drogue, assassinats de personnalités, trafics d’être humains. Mais personne, jamais, n’a osé s’attaquer à lui. Personne, à l’exception de Heng Pov, l’ancien chef de la police de Phnom Penh.

Dans une interview accordée à L’Express en août 2006 (lire ici) Heng Pov accuse nommément Hok Lundy d’être l’homme de main du Premier ministre Hun Sen et le commanditaire de trois meurtres qui ont fait grand bruit au Cambodge : l’assassinat du syndicaliste Chea Vichea en janvier 2004, celui de la star Piseth Pilika en 1999 et celui du ministre Ho Sok en 1997. Heng Pov, à l’époque en cavale, croupit aujourd’hui en prison, pour de nombreux délits pour lesquels il a été condamné et dont il se dit innocent.

Heng Pov, ancien chef de la policede Phnom Penh accuse Hok Lundyd’avoir commandité le meurtrede Chea Vichea. Il est aujourd’hui

emprisonné pour de multiples délits.