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Sam Rainsy diffère son retour au Cambodge

Sam Rainsy à l'aéroport de Séoul. Photo non datée, page Facebook de Sam Rainsy.

C’est à un bien curieux mélodrame politique auquel assistent les Cambodgiens depuis plusieurs semaines sans que nul ne soit en mesure de prédire comment, ni quand il prendra fin.

En juillet 2014, un accord signé entre le Premier ministre Hun Sen et Sam Rainsy, à la tête de l’opposition, avait mis fin à l’impasse politique dans laquelle se trouvait le pays depuis les élections de 2013. Chacun des camps en avait revendiqué la victoire mais l’heure était venue, nous disait-on, d’instaurer une « culture du dialogue » entre les acteurs. Pour autant en coulisse, les uns et les autres affutaient leurs armes, en prévision des prochaines élections de 2018.

En juillet dernier, le Premier ministre a tiré les premières salves, faisant incarcérer pas moins de 14 opposants. Le mois suivant, il ordonnait l’arrestation d’un sénateur pourtant protégé par son immunité parlementaire. Tout récemment, deux députés étaient copieusement passés à tabac par des miliaires aux portes de l’Assemblée nationale tandis que Kem Sokha, le numéro 2 de l’opposition, se voyait retirer quatre jours plus tard sa fonction de vice-président de l’Assemblée au motif que ses propos « haineux » « semait le chaos »

La semaine dernière, le Premier ministre s’en est pris directement à Sam Rainsy- lequel effectuait une visite en Corée du sud- le menaçant de le traîner devant les tribunaux pour avoir déclaré que le Parti du peuple cambodgien (PPC) programmait d’annuler les élections de 2018 par crainte de les perdre. Il lui reprochait également  d’avoir comparé le Cambodge à la Birmanie, où l’opposition venait tout juste de remporter le scrutin.

Quelques heures plus tard, par un de ces tours de passe-passe dont le Cambodge a le secret, les autorités judiciaires émettaient un mandat d’arrestation contre lui afin qu’il purge une peine de prison de deux ans pour diffamation dans une affaire qui l’opposait au ministre des affaires étrangères Hor Namhong et dont le jugement a été prononcé en 2011, puis confirmé le 12 mars 2013 par la Cour d’appel. « Si Sam Rainsy est coupable depuis 2013, pourquoi l’année suivante les plus hautes institutions de l’état, de la Commission électorale (NEC) à l’Assemblée nationale en passant par le Palais Royal, ont-elles accepté qu’il devienne député en août 2014 », lance Chhay Eang, député du CNRP.


Coup de bluff

Ce faisant, le pouvoir a-t-il pour autant véritablement l’intention d’incarcérer à son tour le chef de l’opposition ? Plus probablement, ces gesticulations visent à affaiblir la popularité de Sam Rainsy, en pariant sur le fait que ce dernier choisira une nouvelle fois de s’exiler, comme il l’a fait par le passé. «  Cela a magiquement marché auparavant, souligne l’analyste politique Ou Virak. Rainsy n’a pas assez de courage pour affronter ce coup de bluff ».

Depuis la Corée du Sud, le chef de l’opposition avait cependant annoncé samedi qu’il reviendrait au Cambodge comme prévu lundi « pour sauver mon pays » et ce, « même si je dois mourir». Dans un premier communiqué, son parti avait fait savoir que son avion devait atterrir à Siem Reap lundi, tard dans la soirée. Un deuxième message indiquait qu’il atterrirait finalement à Phnom Penh à 22h30.


Rainsy, privé de son immunité parlementaire

Faisant monter la pression, le gouvernement décidait de lancer lundi son deuxième scud, via le Comité permanent de l’Assemblée nationale, dans lequel le Parti au pouvoir est majoritaire. En fin de matinée, Sam Rainsy se voyait cette fois-ci privé de son mandat de député et son l’immunité parlementaire.
Dans le même temps, un comité spécial placé sous les ordres du ministère de l’intérieur était également chargé de l’arrêter à son arrivée, que ce soit à Phnom Penh ou à Siem Reap.

Finalement, quelques heures plus tard, le chef de l’opposition annonçait sur sa page Facebook qu’il différait son retour de « quelques jours », expliquant qu’on lui avait conseillé d’arriver à Phnom Penh en plein jour plutôt que de nuit, et que cet ajournement serait mis à profit « pour trouver une solution pacifique à la récente escalade de violence au Cambodge ».

Pour prudente qu’elle soit, cette décision est sans doute également motivée par le fait que le monde entier a le regard tourné vers Paris suite aux attentats de vendredi. Dans ces conditions tout retour précipité du chef de l’opposition risque de le priver des soutiens internationaux qu’il ne manquera pas de rechercher.
Hier, par le biais de son ambassade au Cambodge, les États-Unis ont cependant exprimé « leur profonde inquiétude » au regard de la situation provoquée « unilatéralement par le PPC », appelant le gouvernement à annuler ce mandat d’arrestation et à réinstaller Sam Rainsy dans ses fonctions.
Il n’en demeure pas moins que cette reculade de dernière minute de la part de Sam Rainsy est du pain béni pour le pouvoir. De part et d’autre, le show va donc se poursuivre dans les jours, voire les semaines à venir.

 

Krystel Maurice