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Les mystères de Banteay Chhmar

« Les pillages qui ont touché le site de Banteay Chhmar […] ont épisodiquement mis ce grand temple sous les feux d’une triste actualité. Mais ils ont aussi montré à quel point ce site demeurait méconnu, hormis auprès de ceux, rares, au fait d’une bibliographie aussi réduite que le temple est vaste », écrivait en 2004, Christophe Pottier, membre de l’Ecole française d’Extrême-Orient (EFEO). Situé à 165 km au nord-ouest de Siem Reap, abandonné à la nature durant près de 800 ans, le complexe de Banteay Chhmar a pourtant sans doute été la seconde cité khmère après Angkor. Aujourd’hui en très mauvais état, elle n’a à ce jour fait l’objet d’aucune restauration d’ampleur.

Contemporaine de Notre-Dame de Paris, elle a été édifiée la fin du 12e siècle et au début du 13e siècle par Jayavarman VII. Considéré comme le plus grand roi ayant régné à Angkor, il y a fait ériger le temple de Ta Prohm. Puis il fait bâtir une ville avec, en son centre, le temple de Preah Khan, avant de créer Angkor Thom, la capitale fortifiée du Cambodge ancien, au milieu de laquelle trônait le temple de Bayon et ses 54 tours à visages.

Eloigné et desservi jusqu’à l’an dernier par une piste éprouvante, Banteay Chhmar est aujourd’hui un chaos de pierres dont la structure architecturale recèle encore bien des mystères. Les chercheurs ne disposent en effet d’aucun document ancien, à l’exception d’un plan du temple principal, élaboré en 1935 par Georges Groslier, le premier conservateur du musée Albert Sarraut devenu le Musée national du Cambodge. Un plan que les archéologues considèrent aujourd’hui comme étant assez fidèle à ce qui devait exister et qui continue de faire référence. De ses séjours à Banteay Chhmar, cet artiste issu de l’école des Beaux-Arts, a également laissé quelques photos précieuses qui témoignent de l’importance du site.

A l’est, un immense réservoir (baray) de 1,7km de long sur 800 mètres de large donne à lui seul une idée de l’ampleur de la cité. Autour, huit temples satellites, dont une tour à visage baptisée Prasat Ta Prohm, qui n’a été rendue accessible au public qu’en 2009. La plupart de ces temples sont aujourd’hui à l’état de ruines.
Entouré d’une douve de 63 mètres de large, le temple principal est bordé au sud par une chaussée des géants, une caractéristique que l’on ne retrouve que dans deux autres temples du Cambodge, à Preah Kahn et à Angkor Thom, deux constructions érigées par Jayavarman VII.

A l’entrée est, une galerie de splendides bas-reliefs s’étire sur 563mètres. Certaines parties sont similaires à celles de la galerie extérieure de Bayon qui, elle, ne mesure que 315 mètres. Jayavarman VII et un autre dignitaire y conduisent une bataille terrestre victorieuse contre les Chams. Plus loin, les Khmers partent à l’assaut d’un bateau cham, une scène également décrite à Bayon, à cette différence près qu’ici le roi participe aux combats.

A l’ouest, plusieurs murs affichent également des bas-reliefs, plus dégradés et dont des pans entiers ont été pillés. A l’origine, huit Lokeshvaras aux multiples bras étaient ainsi représentés sur l’un de ces murs. Il n’en subsiste malheureusement que deux aujourd’hui. Deux d’entre eux se sont probablement effondrés, estiment les chercheurs, et quatre autres ont été volés. Des pillages savamment orchestrés dans ce secteur qui n’est qu’à 20km de la frontière thaïlandaise. Ainsi, le 5 janvier 1999, la police thaïlandaise arrêtait un camion censé transporter du bétail. A l’intérieur, 117 blocs de grès enveloppés dans des toiles de jute correspondant à deux des huit Lokeshvaras de Banteay Chhmar. Ils seront restitués par la Thaïlande en 2000 mais les autres n’ont jamais été retrouvés.
Ces dévastations avaient commencé dès le début des années 90 mais ils ont atteint un paroxysme à la fin de 1998. Dans les jours qui ont suivi la saisie de ce camion, un état des lieux révélait que le temple était soumis à de vastes pillages depuis trois mois. « La nature et l’ampleur des vols, ainsi que les techniques utilisées suggérait que l’on avait affaire à deux types distincts de pillage: l’un, organisé, bénéficiant de facilités soldatesques sur les grands panneaux de bas-reliefs et sur les stèles de fondation, l’autre « artisanal », au burin, effectué par des habitants des environs, encore en activité lors de notre passage », témoigne Christophe Pottier dans un article rédigé en 2004. Une destruction systématique de tous les frontons, linteaux, avant-corps et superstructures architecturales d’autant plus dommageable que les icônes bouddhistes de ce temple n’avaient jamais été modifiées, à la différence de celles des temples d’Angkor, remplacées par des représentations hindouistes.

Comme à Preah Khan ou à Ta Prohm, le temple de Banteay Chhmar est doté d’une salle de danse dont la fonction reste énigmatique. Elle n’est plus aujourd’hui qu’un amas de blocs au milieu duquel se dressent d’immenses arbres. Mais de très belles frises subsistent, ornées notamment de kinnaris, créature mythiques mi-femmes, mi-oiseaux.

Plus loin, dans la partie centrale du complexe quelques tours à visage affichent encore leurs sourires énigmatiques. Georges Groslier estimait qu’au total, le temple devait compter 55 tours dont plus de moitié étaient des tours à visage. Une évaluation crédible, estiment aujourd’hui les architectes qui cherchent à les localiser.

Reste que la conservation du temple nécessitera des années d’investigations scientifiques au vu de la complexité du site presque entièrement écroulé.

 
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Texte et photos Krystel Maurice