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Mort d’un journaliste canadien dans la forêt d’Angkor: une enquête délicate

L’enquête sur la mort du journaliste et scénariste canadien Dave Walker dont le corps a été découvert le 1er mai dans les temples d’Angkor s’annonce difficile.
En soi, ce n’est pas une surprise compte tenu de la personnalité complexe de Dave Walker. Mais, plus encore, ce sont bien les déclarations d’un des responsables de la police provinciale à la presse qui inquiètent la famille et les amis de Dave Walker.

Âgé de 59 ans, Dave Walker qui vivait à Siem Reap depuis plusieurs mois était porté disparu depuis le 14 février. Ce jour là, vers 13h30 il avait demandé à la femme de ménage de la guesthouse ou il résidait, la Green village Angkor, située près de Wat Damnak, de nettoyer sa chambre. Il était sorti quelques instants et était revenu vers 14h, après avoir récupéré quelques vêtements à la blanchisserie.

A la femme de ménage, toujours occupée à nettoyer sa chambre, il avait alors expliqué qu’il était simplement revenu mettre son téléphone en charge, la batterie s’étant vidée. Puis il était ressorti aussitôt, laissant son portable et toutes ses affaires personnelles, à l’intérieur de la chambre, passeport et ordinateur compris. Depuis, personne ne l’avait revu.
Dans les jours qui ont suivi, des centaines d’affiches avaient été collées un peu partout dans la ville par des expatriés et par son ami Sonny Chhuon avec lequel Dave Walker avait crée, en 2012, une société de production de films et de documentaires appelée Animist Farm.

 

Un gars comme lui ne disparait comme cela

 

Mais durant dix semaines, et en dépit des questions des journalistes et des amis de Dave, les différents services de police (immigration, districts, province) sont restés muets, considérant ou faisant mine de considérer qu’il s’agissait au pire d’une disparition inexpliquée, au mieux d’une simple escapade.

Pourtant tous ses amis, au Cambodge comme au Canada ou en Thaïlande, n’avaient de cesse de répéter qu’un « gars comme lui ne disparait pas comme cela ». En clair, le personnage était tout sauf un touriste de passage. Il connaissait le Cambodge et l’Asie du sud-est depuis plus de trente ans, il parlait Khmer et Thaï, avait exercé divers métiers autres que celui de journaliste dont celui d’auxiliaire de police au Canada et de détective privé. Et bien d’autres activités encore sur lesquels nous allons revenir.

Jeudi 1er mai, vers 6h30 du matin (heure locale) la police a été appelée par le père de deux adolescents, partis chercher des fruits dans la forêt. Là,  près de la Porte de la Victoire, l’une des portes donnant accès au complexe d’Angkor Thom, les gamins avaient

découvert le corps d’un homme en état de décomposition avancée. Il gisait au sol, à une soixantaine de mètres seulement de la Porte, à proximité d’un sentier accessible uniquement  à pied.

Sonny Chhuon  le partenaire de Dave Walker,  et le patron de Green Village Angkor dans laquelle il vivait, sont alors convoqués sur place pour tenter d’identifier la victime. Ils n’y parviendront que grâce à ses vêtements et à ses chaussures.

 

Infarctus

 

Quelques heures seulement après la découverte du corps, Pheng Pech, adjoint à la police technique et scientifique déclarait « Notre service n’a pas encore examiné le corps. Mais selon les premières vérifications de la police, il n’a pas été assassiné car il ne présentait aucune blessure. »
Le lendemain, ce responsable enfonçait le clou : «Selon un médecin, expert auprès de la Cour provinciale, cet homme est décédé suite à un infarctus ».

Des conclusions prématurés, répliquait aussitôt de Phnom Penh Brad Gordon, l’avocat de la famille de Dave.
Vendredi, un représentant de l’ambassade du Canada à Bangkok s’est rendu à Siem Reap, accompagné d’une équipe composée de quatre médecins, de deux spécialistes des autopsies, d’un cameraman et d’un assistant. Selon une source proche de la famille, cette équipe n’a pas été en mesure, lors de ce premier examen, de déterminer la date de la mort de Dave Walker. Mais elle a relevé des indices d’une bagarre qui aurait duré au moins cinq minutes. Elle a aussi conclu qu’il était mort à l’endroit même où son corps a été découvert, contrairement à ce qui avait été évoqué dans un premier temps.

Lundi Touch Malai, lui aussi adjoint à la police scientifique et technique de la province, a précisé que l’autopsie avait eu lieu dans les locaux du referral hospital de Siem Reap. Des échantillons d’ADN ont été prélevés par les expert thaï et canadien. Le corps devrait rester à Siem Reap jusqu’à la publication des résultats de l’autopsie. Il sera ensuite rendu à la famille de Dave à la demande de l’ambassade canadienne à Bangkok. Touch Malai a lui aussi souligné que les médecins de la police cambodgienne avait conclu à un infarctus et que le corps ne portait aucune trace ou preuve d’un meurtre.

Mais de son côté Mao Vireak, le responsable la police de l’immigration de la province déclarait: « Nous n’avons encore aucun indice permettant de connaitre les causes de la mort ». Il a cependant confirmé la collaboration de l’ambassade de Bangkok et de l’avocat de la famille avec la police cambodgienne.

Pour qui connait le Cambodge, les couacs policiers sont si fréquents qu’ils ne surprennent plus personne. Et force est de constater que les dossiers concernant des victimes de nationalité étrangères sont loin d’échapper au phénomène.
L’assassinat en 2011 de Laurent Vallier et de ses quatre enfants près de Kompong Speu ou le meurtre d’Ophélie Begnis en 2012 à Kampot ont montré à quel point ces enquêtes avaient été bâclées.

Dans le premier cas, la police s’était empressée de conclure au suicide, dans le second, elle avait accusé sans preuve, un ressortissant belge. Aucun de ces meurtres n’a à ce jour été résolu et les familles continuent de se battre pour obtenir la vérité. L’affaire Dave Walker subira-t- elle le même sort ?

 

Services de renseignements canadiens

 

En tout cas, depuis dix semaines, au Cambodge, en Thaïlande ou au Canada, les journalistes et ses amis, se sont démenés pour tenter de comprendre cette disparition. Au risque d’ailleurs de fâcher sa famille à Edmonton et plus précisément Tammy Waldrige-Madon, la seule parente de Dave. Peu à peu, chacun a compris que la publication ou la divulgation de certaines informations risquait de mettre Dave en danger, pour autant qu’il soit toujours vivant.
Et si le choix des uns et des autres de garder le silence a sans doute donné l’impression d’une chape de plomb sur cette affaire, c’est aussi parce Dave avait dans son jeu plusieurs cartes ô combien secrètes.

Parmi elles, mais ce n’est pas la seule, celle « révélée » le 2 mai par Peter Vronsky, un ami de Dave, lors d’une interview sur une chaine de télévision canadienne. Selon Vronsky, Dave Walker était en relation avec les services de renseignements canadiens. Il avait notamment, dans les années 80, fournit des informations sur des criminels de guerre khmers rouges susceptibles d’entrer au Canada en même que le flot des réfugiés. Au nombre des réfugiés revenus au Cambodge pour y développer des affaires, l’un d’eux serait un haut gradé de la police, soupçonné d’être impliqué dans la disparition de Dave Walker, a affirmé Vronsky.

On le voit, après dix semaines d’interrogations, l’affaire n’en est vraiment qu’à ses débuts.

Krystel Maurice