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Le riz deviendra t-il l’or du Cambodge?

Photo Krystel Maurice

Depuis quelques mois, le gouvernement cambodgien se sent pousser des ailes. Dopé par les bons résultats enregistrés ces dernières années, il multiplie les déclarations optimistes sur l’avenir de la riziculture (lire ici notre précédent article). D’ici quatre ans, soutient-il, le Cambodge aura doublé sa production. A l’horizon 2015, 15 millions de tonnes de riz brut pourront être récoltés dont 8 millions destinés à l’exportation, ce qui représentera quelque 5 millions de riz usiné, affirment les autorités.

En août 2010, Hun Sen, le Premier ministre cambodgien, a lui-même présidé, au lancement d’une vaste campagne de promotion en faveur des exportations de riz. « La finalité de notre stratégie, a t-il expliqué, est d’améliorer la croissance économique, de réduire la pauvreté et d’améliorer le niveau de vie de la population ». Peut-être.

Pour autant les prévisions annoncées sont-elles réalistes ? A bien y regarder, l’avenir n’est pas aussi rose qu’il y parait. Car en dépit des bons résultats obtenus ces dernières années, de lourds obstacles gangrènent le secteur et hypothèquent dangereusement ses perspectives de  développement.

 

De petites exploitations aux rendements faibles

Pour l’essentiel, la riziculture cambodgienne reste une agriculture de subsistance. A l’échelon national, la superficie moyenne des exploitations n’est que 1,2 hectares, même si dans le nord-ouest, les parcelles sont plus grandes, de 2 à 4 hectares. Les profits restent donc très faibles, et selon la Banque mondiale, seuls 40% des exploitants seraient en capacité de générer des surplus commercialisables.

Rizière près de Sisophon, au Nord-Ouest du Cambodge ©Krystel Maurice

Rizière près de Sisophon, au Nord-Ouest du Cambodge
©Krystel Maurice

La faible rentabilité des rendements, de l’ordre de 2,75 tonnes à l’hectare, place le Cambodge loin derrière  son voisin vietnamien, champion d’Asie du Sud-Est avec plus de 5 millions de tonnes/ha. Une situation qui s’explique en partie par la pauvreté des sols et par une très faible utilisation d’engrais en raison du manque de moyens financiers. Selon la FAO, le Cambodge est en Asie du Sud-Est, le pays qui utilise le moins d’engrais chimiques. A peine 30% des rizières recevraient un traitement minimal.

 

Aléas climatiques et sous-développement des infrastructures d’irrigation

Autre handicap relevé par le département américain de l’Agriculture dans son étude publiée en janvier 2010, la prédominance d’une riziculture presque entièrement dépendante de la mousson. 80% de la production nationale est obtenue durant la saison des pluies. Or à cette époque, les variations climatiques sont très importantes, les périodes de sécheresse alternant souvent avec des inondations.

Les infrastructures d’irrigation restent par ailleurs fortement déficientes. Des améliorations notables ont cependant été réalisées au cours des vingt dernières et les efforts du gouvernement pour obtenir des prêts internationaux et des donations ont commencé de porter leurs fruits.

Canal d’irrigation dans la campagne de Battambang ©Krystel Maurice

Canal d’irrigation dans la campagne de Battambang
©Krystel Maurice

Selon le ministère cambodgien des ressources en eau et de la météo, 24% des rizières seraient irriguées. Une statistique assez peu crédible qui inclut tout à la fois des réseaux en mauvais état et des constructions de piètre qualité qui ne fonctionneront plus dans les 10 ou 20 ans à venir.

En comparaison, plusieurs décennies d’investissements ont été nécessaires dans le sud et le centre de la Thaïlande, mais aussi dans le sud du Vietnam, pour atteindre un taux d’irrigation qui oscille aujourd’hui entre 50 et 75%. C’est dire l’ampleur de la tache qu’il reste à accomplir au Cambodge.

 

D’énormes freins aux investissements

Une grande majorité des Cambodgiens ne dispose d’aucun titre de propriété. Cette précarité constitue un frein essentiel au développement des exploitations.
En outre, le secteur agricole ne bénéficie d’aucun soutien financier de la part de l’état. Quant aux banques elles rechignent à accorder des prêts et quand elles le font, les taux d’intérêts sont élevés. Face à l’impossibilité d’obtenir des crédits, les fermiers ne peuvent investir. L’acquisition de machines, d’engrais, de pesticides, de bâtiments de stockage, restent donc hors de portée de bourses. Les rizeries, trop peu nombreuses, ne sont pas non plus standardisées et la qualité du riz décortiqué s’en ressent.
Les agriculteurs n’ont pas non plus les moyens de construire de nouveaux canaux d’irrigation, ni même souvent d’entretenir ceux qui existent.

A cela s’ajoute, depuis quelques années, une hausse des coûts de la main d’œuvre. Une tendance directement liée au phénomène national de migration vers les villes. Durant les périodes d’intense activité dans les rizières, il devient en effet de plus en plus difficile de  trouver des ouvriers pour planter, repiquer et récolter le riz. L’absence de formations professionnelles et d’encadrement capable de transmettre son savoir aux générations futures, conjuguée à une recherche scientifique totalement dépendante de l’aide internationale, assombrissent aussi les perspectives de développement de la filière.
Dans ces conditions, on voit mal comment la courbe de croissance des exportations de riz pourrait s’envoler dans les années à venir.

 

1% du budget de l’état

Mais par-dessus tout, c’est bien l’indigence du budget consacré à l’agriculture qui pose question. Selon l’Agence des États-Unis pour le développement international (US AID), le gouvernement cambodgien n’aurait consacré, en 2010, que 1% de son budget national à des programmes agricoles, hors programmes d’irrigation principalement subventionnés par les États-Unis et la Chine. 1% du budget alors que 80% de sa population est rurale et que 71% dépend entièrement des revenus agricoles pour survivre ! Un chiffre qui en dit long sur le chemin qu’il reste à parcourir.

 

Krystel Maurice