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Pour la justice, Paris n’a pas livré de Cambodgiens aux Khmers rouges en 1975

Rien ne permet d’affirmer, selon la justice, à l’issue de 15 ans d’enquête, que la France a livré aux Khmers rouges, en 1975, des dignitaires cambodgiens réfugiés dans son ambassade de Pnom Penh.

En 1999, la veuve de l’ancien président de l’Assemblée cambodgienne, Ung Boun Hor, disparu à l’issue de ces journées tragiques, avait porté plainte en accusant la France d’avoir abandonné son époux à une mort certaine.

La juge d’instruction Emmanuelle Ducos a estimé le 27 janvier que cette accusation «n’était pas corroborée» et ordonné un non-lieu, conformément aux réquisitions du parquet, a indiqué mardi à l’AFP une source proche du dossier. La fin de quinze années d’investigations approfondies, un travail pour l’Histoire.

En avril 1975, l’ambassade de France est l’ultime sanctuaire dans une capitale en proie à la fureur khmer rouge. Des centaines de Cambodgiens et d’étrangers s’y abritent, séquence chaotique qui a fait l’objet d’une version romancée en 1984 dans «La Déchirure», le film aux trois Oscars de Roland Joffé.

Président de l’assemblée cambodgienne, Ung Boun Hor parvient le 17 avril à y entrer avec d’autres dignitaires du régime déchu, des «traîtres» aux yeux du prince Norodom Sihanouk, allié des Khmers rouges.

Bien que Paris ait reconnu le nouveau pouvoir, les Khmers rouges contestent le statut souverain du territoire de l’ambassade, exigent la reddition des Cambodgiens et menacent d’aller les chercher. Trois jours plus tard, les dignitaires en ressortent. Leur trace se perd alors dans un génocide qui a fait deux millions de morts en quatre ans.

Des dizaines de témoins ont été entendus dans l’enquête lancée en France après la plainte de Billon Ung Boun Hor.

«Malgré les divergences sur le déroulement précis du départ des dignitaires cambodgiens le 20 avril 1975, tous les témoins s’accordaient pour affirmer que ce départ s’inscrivait dans le cadre d’une reddition volontaire», a souligné la juge.

Paris blanchi

«Informé de l’ultimatum lancé par les autorités khmères rouges à propos de leur remise, les dignitaires de l’ancien régime, dont M. Ung Boun Hor, avaient décidé de se rendre aux dites autorités pour éviter une intervention armée au sein de l’ambassade et protéger ainsi les autres réfugiés», a-t-elle considéré.

La polémique sur le rôle de la France ne relèverait-elle que du malentendu originel? De cette photo publiée en mai 1975 par Newsweek sur laquelle Ung Boun Hor semble se débattre avec deux gendarmes. Dans le film «La Déchirure», le dignitaire pris de panique court se réfugier dans une voiture, d’où il est délogé à coups de crosse par des Khmers rouges.

Pour la juge, les témoignages n’offrent aucune certitude sur le cliché de Newsweek. Peut-être ne date-t-il pas du départ, mais de l’arrivée d’Ung Boun Hor à l’ambassade. «Figeant un instant et extraite de son contexte», la photo ne peut «à elle seule suffire à établir une version des faits», a estimé la magistrate.

Plus froidement, elle exonère l’exécutif français de l’époque dans cette crise suivie de près par les services du président Giscard d’Estaing: Paris a bien refusé aux dignitaires le droit d’asile, puis communiqué leurs noms aux Khmers rouges, mais ces décisions «ne sauraient être considérées comme une participation volontaire et consciente à une infraction».

Cette enquête aura permis d’éclairer le déroulement de ces journées sanglantes. Mais elle était dans une impasse juridique.

Impossible d’enquêter sur des «crimes contre l’humanité» qui n’existent en droit français que depuis 1994. La justice n’était compétente que sur une éventuelle «séquestration suivie d’acte de tortures».

Le déplacement de la juge au Cambodge n’a cependant pas permis de connaître le sort d’Ung Boun Hor après le 20 avril 1975, donc d’établir qu’il ait été torturé.

Une difficulté juridique que reconnaît l’avocat de Mme Ung.

«Il n’empêche que la juge aurait pu aller plus loin dans ses recherches sur la responsabilité de la France», a déclaré à l’AFP Me Patrick Baudouin. «Pourquoi Ung Boun Hor a-t-il été livré quand d’autres ont pu s’échapper?»

Ce non-lieu est pour Mme Ung une « immense et légitime déception

(AFP)