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Le Phnom Kulen au coeur de l’identité khmère

Les lingas de la rivière de Siem Reap au Phnom Kulen

 « Le Phnom Kulen, c’est la source de l’identité khmère, le lieu le plus sacré du Cambodge. Si tu vis ici, tu dois y aller et alors tu comprendras. » Comprendre quoi ?

Qu’un général, un de plus, a flairé la bonne affaire et n’a pas hésité à faire main basse sur ce patrimoine national ? Qu’il a, avec son associé, un homme d’affaires de Siem Reap également député du parti au pouvoir, eu l’idée de surtaxer les étrangers qui veulent découvrir le site?

« L’entrée est très chère pour les touristes (un véritable scandale) car la piste qui y grimpe appartient au riche entrepreneur qui l’a construite », écrit Le guide du routard.  Vingt dollars l’entrée, « une somme ridiculement élevée par rapport aux droits d’entrée d’Angkor et dont pas un centime ne sert à la conservation du site», renchérit le Lonely Planet.

– Viens tu vas voir comme c’est beau. Il y a mille lingas sculptés dans  la rivière.
– Y vas-tu souvent ?
-De temps en temps, on y va avec la famille quand on a des problèmes, pour faire des offrandes aux dieux.
-Quels problèmes ?
-Des gros problèmes. Si on est malade, quand on a plus d’argent.

Le Phnom Kulen, c’est le château d’eau de la région d’Angkor. A l’endroit même où la rivière Siem Reap prend sa source, les Khmers ont tapissé son lit de lingas, « symboles figurant Siva sculptés à même le roc, lingas sur lesquels la rivière cascade à longueur d’année, comme si elle coulait sur la tête du dieu », écrit l’archéologue Bruno Dagens. « Pour faire bonne mesure et consolider la valeur religieuse du lieu, ils ont dans les mêmes parages, sur la paroi rocheuse qui borde un bief du cours d’eau, sculpté une image de Visnu dormant sur l’Océan à une hauteur telle qu’elle est à fleur d’eau lorsque le bief est plein en saison des pluies… »

Site sacré depuis des temps anciens, c’est du haut du Phnom Kulen que Jayavarman II, proclama en 802, l’indépendance du Royaume jusque là rattaché à Java.
– Viens, tu verras le grand Bouddha couché et les grottes sacrées. Et puis nous irons nous baigner à la cascade. Elle est très belle en ce moment.
Nous avons emprunté la fameuse route qui mène au site. Une piste plutôt qu’une route, qui grimpe fort. La moto hoquetait, chauffait. Quelques kilomètres plus haut, nous nous sommes arrêtés pour admirer la gorge qui s’enfonçait dans la végétation juste au dessous.
Le vent agitait la cime des arbres. Le chauffeur a brusquement reculé, dans un geste de peur. Ce n’était que les feuilles des arbres qui tombaient.

 

 

Plus loin, lorsque la piste s’est rétrécie, il a ralenti. Encore et encore. Au point d’avancer au pas. On ne voyait plus le ciel tant la couverture végétale était épaisse. L’unique rayon de lumière qui filtrait au bout du chemin était étrangement traversé par des tourbillons de poussières. Il jetait des regards inquiets de part et d’autre de la route. Il semblait  prêt à rebrousser chemin.

-Ca va ?
-Ca va. La voix était blanche. Il ne s’est senti rassuré qu’une fois arrivé à  proximité des marchandes de bananes. Nous avons mis pied à terre, échangé quelques phrases avec les vendeuses, il a retrouvé le sourire. Les mauvais génies s’étaient éloignés.

Près de la rivière aux mille lingas, des dizaines de papillons jaunes et blancs, quelques autres bleus, s’agglutinaient au ras de la terre, dans un carré à peine plus grand qu’un mouchoir de poche.  « C’est  la nature très spécifique du sol, à la fois acide et légèrement sucré, qui les attirent, m’expliquera plus tard un spécialiste des papillons. A une dizaine de kilomètres plus loin, autour du Phnom Kulen, ils sont des centaines à vivre près d’un pont. On l’a d’ailleurs baptisé le pont des papillons »

Le chemin s’enfonce dans une épaisse végétation. Il conduit à la « source sacrée», enfin c’est comme cela que les gamins l’appellent. On s’y asperge d’eau en faisant un vœu. On y jette un billet qui s’engloutit dans un remous pour ne plus jamais réapparaître.

Au Wat Preah Ang Thom, le grand Bouddha couché repose dans son temple construit sur un très haut rocher. L’habitacle est étroit. Silence et recueillement. Dans son hamac, le gardien s’en félicite. Ses ronflements redoublent.
Tout autour du Wat, des grottes et des cavités creusées dans la roche. Presque chacune d’elles abrite des offrandes.
-Vois-tu le visage de Bouddha sur la paroi ? Mais si, regardes mieux. Là, les yeux, ici la bouche.
– Dans ce trou-là, le Maitre avait caché le livre des enseignements du Bouddhisme, explique à son tour un gamin qui vit ici. Personne ne pouvait le voir car il était dissimulé par une porte. En fait, c’était comme une sorte de coffre-fort. Mais si quelqu’un s’était avisé de voler ce livre, il aurait eu les yeux brûlés en l’ouvrant. Car seul celui qui est initié peut l’utiliser.
-Mais la porte a disparu  et le livre n’y est plus?
-Il est en sécurité quelque part. Même les Khmers rouges qui vivaient ici n’ont pas pu le prendre.

En descendant vers la cascade, la forêt se peuple d’animaux, ici une biche, là un tigre menaçant, plus loin un éléphant. Le tigre est dix fois plus petit que la biche mais pour la photo ça ira.
-Si tu veux tu peux revêtir le costume traditionnel des Phnongs du Ratanakiri. Tu te mets devant la case, on appelle le photographe et tu auras un  beau souvenir.
Au pied de la cascade, une gamine haute comme trois pommes a installé une balançoire qui barre le chemin d’accès. Elle y a accroché quelques fleurs en plastique. Pas moyen de s’y asseoir sans payer la taxe. Les rares touristes  qui se trouvent là refusent, les khmers eux mettent la main à la poche.
-Mille riels, pas de problème. Elle a besoin d’un peu d’argent pour manger cette gosse.

Entre «scandale» et boycott, « le magnifique Phnom Kulen » préservera peut-être sa magie.

 

Texte et photos Krystel Maurice