En continu

Concessions foncières: qui possède quoi ?

57% des concessions foncières du Cambodge sont détenues par des compagnies étrangères.

La Licadho, une association cambodgienne de défense des droits l’homme, vient de publier sa première carte interactive des concessions foncières à vocation économique du Cambodge. Aujourd’hui, selon l’ONG, 2, 141millions d’hectares de terres ont été concédés par le gouvernement à des sociétés privées, au travers de 272 concessions.

L’élaboration de cette carte, au terme d’une collecte de données initiée il y a cinq ans, permet de mieux connaitre les sociétés propriétaires de ces concessions, leur objet et leur nationalité.

En 2012 le Premier ministre Hun Sen avait annoncé un moratoire concernant l’attribution de nouvelles concessions et une révision de toutes celles qui avaient été attribuées. Trois ans plus tard, aucun ministère n’a encore pris la peine d’apporter un quelconque éclairage sur la situation actuelle, explique la Licadho. Le ministère de l’agriculture, de la forêt et de la pêche n’a publié qu’une une liste schématique et incomplète des concessions. Quant au ministère de l’environnement, il s’est contenté de publier deux chiffres : celui des sociétés concernées et celui de la surface des terres concédées.

Aujourd’hui, selon cette carte, ce sont les compagnies étrangères qui se taillent la part du lion, avec 1,162 201 millions ha de terres, soit 57% des terres cambodgiennes concédées.

Parmi elles, les compagnies chinoises récupèrent la plus importante superficie de terres : 355 307 hectares au travers de 40 sociétés. Juste derrière elles, 54 compagnies vietnamiennes se partagent 350 320 autres hectares. Au total, ces deux pays se sont vus attribués plus d’un tiers des terres arables du Cambodge. Loin derrière, mais avec tout de même quelque 100 000 hectares par nationalité, les compagnies singapouriennes, malaises, coréennes et thaïlandaises.

Plus de 33 fois la surface légale

Les compagnies cambodgiennes, soit 113 sociétés, détiennent 941 565 hectares sur un total de 2, 141 millions d’hectares. Mais l’une d’elle, la Pheapimex Group, a été particulièrement bien servie puisque sa concession, située dans la province de Pursat, représente plus d’un tiers des surfaces détenues par des nationaux. Plus grande que le lac Tonle Sap lui-même, elle s’étend sur 333 327 hectares, soit une superficie plus de 33 fois supérieure aux 10 000 hectares autorisés par la loi.
Ses propriétaires ne sont autres que le sénateur Lao Meng Khin et sa toute puissante épouse, Choeung Sopheap connue également sous le nom de Yeay Phu. Proche du Premier ministre Hun Sen et de son épouse, le couple est également à la tête d’un conglomérat de sociétés à travers tout le pays. Au nombre de celle- ci, la Shukaku Inc., qui s’est également vue attribuer en 2007 la fameuse concession du lac de Boeng Kak à Phnom Penh pour y réaliser un projet immobilier de luxe.

Un autre couple de magnats, Ly Yon Phat et son épouse Kim Heang, possèdent également plusieurs concessions, via différentes sociétés crées pour la circonstance, dont la superficie totale approche les 50 000 hectares.

Reste à savoir à quoi ces terres si convoitées sont destinées. La réponse est sans ambiguïté : près d’un million d’hectares de terres sur les 2,1 millions concédés seront plantés d’hévéas, dont le latex sert à produire de caoutchouc. Puis vient la pâte à papier (100 707 ha), la cassave (49 214 ha) et l’huile de palme (41 838 ha).

La Licadho met toutefois en garde contre le caractère incomplet de cette carte. Des dizaines de concessions n’ont pu être reportée sur ce graphique faute d’information émanant des ministères, explique- t-elle. Par exemple sur les 113 concessions cambodgiennes évoquées par le ministère de l’environnement en décembre 2014, la Licadho n’a pu en localiser que 73.

« Cette carte ne peut et ne doit pas se substituer aux données du gouvernement. Nous appelons tous les ministères concernés à faire preuve de transparence dans les transactions de terres. Les Cambodgiens ont besoin de savoir qui occupe les terres à côté de chez eux», souligne ainsi Naly Pilorgue, directrice de la Licadho, dans un communiqué.

Depuis plusieurs années, le gouvernement a favorisé le développement à grande échelle des concessions soutenant qu’elles procureraient des emplois aux fermiers et feraient bondir les exportations.

Mais les associations de défense de l’environnement ou des droits de l’homme, telle que la Licadho, constatent qu’elles ont avant tout contraint des centaines de milliers de familles à céder leurs terres sans contrepartie. Elles ont engendré des conflits sans fins et une répression violente de la part des forces de sécurité, détruit l’environnement et pillé les ressources naturelles.

Krystel Maurice

 

Voir également dans notre rubrique « Grands dossiers », notre dossier consacré aux expulsions foncières.